LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE
— LITTÉRATURE POLONAISE —
Zygmunt Krasiński
1812 – 1859
L’AUBE
(Przedświt)
1843
Traduction de Constantin Gaszynski revue
par Ladislas Mickiewicz, Paris, 1869.
TABLE
Ultima Cumaei venit jam carminis aetas ;
Magnus ab integro seculorum nascitur ordo.
(Virgilius, Ecloga IV.)
Hodie scietis quia veniet Dominus et salvabit
nos et mane videbitis gloriam ejus.
(Miss. Rom., in vig. Nat. Dom.)
..............Et Jésus leur répondit :
Mon Père agit toujours et moi aussi.
(Évang. de saint Jean, c. 5, v. 17.)
Aux jours de César, précurseurs du grand jour du Christ, le monde antique en était arrivé aux conséquences extrêmes de son histoire ; — en religion, au doute absolu, — en philosophie, au bouleversement de toutes les assises du polythéisme. L’augure se moquait de l’augure, le sophiste se persiflait lui-même. L’esprit critique avait rongé la foi et détruit le principe vital des peuples, sans le remplacer par rien d’aussi viable ou de plus vivifiant. Le regard n’apercevait plus que ruines, dévergondages, discordes : quot capita tot sensus. L’épicuréisme, le stoïcisme, le platonisme hantaient comme des fantômes le sein désolé de l’humanité. De tant de guerres, de proscriptions, de révolutions, il n’était resté qu’une immense lassitude dans les cœurs et une déchéance complète de tous les arcanes politiques. Ni Marius le plébéien, ni Sylla le patricien n’avaient su atteindre leur but, malgré les flots de sang, les violences, les terreurs et les dénis de justice qu’ils employèrent pour évoquer ou ressusciter un passé qui croulait. Car ce n’est que la mort qu’on introduit par la mort ; — la vraie vie n’a que faire de massacres ; — elle ne s’impose jamais comme un joug ; elle s’empare des cœurs en édifiant au lieu de dévaster ; elle respire l’amour et non pas le meurtre. Ces grands perturbateurs ou réformateurs des derniers temps de Rome sont tous marqués au même coin ; — ils aspirent à métamorphoser une situation devenue insupportable, mais ignorent où gravite l’histoire. Les uns tiennent aux traditions des Gracques et ne veulent que démocratie ; — les autres, voués aux Dieux mânes des Appius, ne rêvent que république aristocratique. En proie à une telle hallucination, Brutus assassinera son père, le plus grand des mortels avant que Napoléon eût paru, — et il qualifiera cet acte de vertu ; — mais au moment d’expirer, doutant de lui-même, de la patrie et des dieux, il s’écriera que la vertu elle-même n’est qu’une illusion !
Brutus suicidé, c’est l’emblème du monde en ces temps néfastes. Impuissance, incertitude, velléité fiévreuse de quelque amélioration désirée, effroi tout aussi fiévreux après l’accomplissement inutile de l’acte qui devait y conduire ; — tels sont les signes du temps, — signes évidents du jugement et de la transfiguration qui s’avancent.
Non-seulement cet état moral, ce manque de foi, ces désirs et ces regrets inutiles témoignent du changement qui se prépare ; — mais un autre signe encore, plus grave que les autres, irrécusable, infaillible bien que se rapportant à l’état matériel de la société, apparaît également ici. Car, tandis que dans la sphère de l’esprit tout se disperse, — d’un autre côté, dans le domaine des faits et des tendances matérielles, tout se groupe, se serre et se centralise de plus en plus. Rome quoique déchirée en elle-même et ayant perdu l’idée de sa mission, remporte continuellement des victoires, s’agrandit sans cesse — et se personnifie à la fin en un seul homme dont le nom est Jules César. Cet homme enseignera à la terre l’unité ; en apparence il déchirera cette unité par les guerres, en lançant au combat le frère contre le frère, en armant le fils contre le père ; — il passera le Rubicon, l’impie ! en disant : alea jacta est, — il ne reculera pas devant l’opprobre de la guerre civile ; il fera combattre la Gaule contre l’Égypte ; — aux Germains il montrera l’azur du ciel de Pharsale, — et entraînera avec lui les Grecs sur les sables d’Afrique ; — il bouleversera tout, il ensanglantera tout, il mêlera tout ; — il remplira le monde du bruit des armes, des cris du combat et des cris de la haine ; — et cependant, sans le savoir ni le vouloir, il unira tout, et fera tout fraterniser ; — toutes ces races qui ne se connaissaient pas, il les pétrira en un seul bloc pour l’édifice d’un empire universel ! Les Juifs penseront de lui qu’il est le Messie, et le monde croira un instant qu’il est son Dieu ; mais nous savons qu’il n’était que le précurseur de son Dieu ! Dans la région des faits historiques, il remplissait l’office de cet ange à qui il a été ordonné d’enlever les obstacles devant les pas du Seigneur. C’est lui qui a amené le monde à l’unité matérielle, sans laquelle aucune parole de vie ne peut se propager ; — il a changé toute la terre connue alors en une seule grande et large voie de communication.
Et quelques années plus tard, qui donc a marché le premier sur cette voie, en annonçant que la vie nouvelle est déjà inaugurée, que les morts ne mourront plus, et qu’un Dieu inconnu à Athènes a été révélé à Jérusalem ? N’est-ce pas Pierre ? n’est-ce pas Paul ? n’est-ce pas saint Jean ?
Les successeurs du grand Jules persécutaient avec démence la foi nouvelle ; — ils plaisantaient pendant leurs festins sur la parole évangélisée, — ils faisaient crucifier les chrétiens ; — et ils ne savaient pas qu’il aurait fallu détruire l’œuvre du premier des Césars pour empêcher la propagation de cette religion ; — ils ne savaient pas que le fait qui les élevait pour un instant au rang des dieux terrestres, facilitait en même temps la marche de ce mouvement parti du ciel — et que l’unité matérielle de l’empire qui embrassait le monde entier sous le nom des provinces conquises, était la base, la condition, le moyen indispensable du progrès pour le christianisme ! Ils veillaient sur cette unité, ils la défendaient de toutes leurs forces efféminées, — et en agissant ainsi, ils protégeaient aveuglément, et sans le savoir, l’établissement du christianisme. Ils étaient des instruments dans la main de la Providence, — ils accomplissaient la loi de l’histoire en croyant obéir à leur propre intérêt comme le font les marchands et les industriels de notre époque. Ainsi, chacun de ces démons visibles sur la terre était le serviteur des desseins de Dieu, — chacun d’eux était une pierre de plus apportée pour l’édification de l’Église. Comme empereurs, ils ont disparu chargés des malédictions des hommes, — comme pierres, ils sont restés ; — et jusqu’à présent, les générations venues après, foulent ces pierres sur leur passage à travers les champs de l’histoire !
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Discite historiam exemplo moniti ! Deux mille ans se seront bientôt écoulés, et voilà que les mêmes signes ont surgi sur les flots du temps. Les derniers bouleversements de la république romaine se sont répétés dans la terrible et épileptique secousse de la révolution française. Les ombres de Marius, de Sylla et de Catilina, ont reparu sous les figures sanglantes de Danton, de Saint-Just, de Robespierre ; — enfin, l’époque de César s’est reproduite dans l’époque de Napoléon. Et le César chrétien, supérieur à son devancier par le travail de dix-neuf siècles, ayant une parfaite conscience de lui-même et le but pour lequel l’esprit de Dieu, qui dirige l’histoire, l’a envoyé, — a dit en mourant sur le rocher de l’exil : « À partir de moi on comptera le commencement d’une nouvelle ère. » Cette parole contient toute une révélation sur lui et sur l’avenir !
Mais avant que cette vérité se développe et se complète, avant que le monde ait passé de la sphère napoléonienne dans une transformation plus absolue et plus sainte, — il est condamné à s’épuiser et à se renier, comme s’épuisait et se reniait le monde antique. Ce n’est point d’aujourd’hui ni d’hier qu’a commencé ce mouvement progressif dans la destruction et ces méditations profondes de l’humanité sur elle-même. Depuis les Gracques, le monde païen ne s’est plus reposé jusqu’à ce qu’il ait entendu la promesse du Christ ; — depuis Luther, le monde moderne n’a pas eu un moment de paix. Une immense guerre civile de la pensée et du glaive le déchire chaque jour de plus en plus ; — et lui aussi ne se reposera que lorsqu’il sera arrivé, non pas à l’audition, mais à la compréhension et au complément de la promesse du Christ.
Dans la sphère religieuse, partout l’atonie, la discorde ou la dissolution. L’Église catholique depuis le dernier concile (c’est-à-dire depuis trois siècles) semble ne plus montrer la vigueur active des premiers temps ; — le schisme grec, sous sa forme puérile de christianisme primitif, s’est morcelé en sectes innombrables ; — le protestantisme se dissout lui-même en poussant le cri : consummatum est. Dans le domaine de la philosophie, que voit-on ? La certitude, mais seulement la certitude de l’impuissance, — la preuve, mais seulement la preuve critique que le passé n’a pu donner satisfaction aux besoins de l’humanité ! La négation furioso-phlegmatique, si je puis m’exprimer ainsi, de la philosophie allemande, est arrivée au chaos. Ne voyant qu’un côté de la question, le spiritualisme n’a pu créer rien de viable, pas plus qu’avant lui le matérialisme des encyclopédistes français. De là vient ce tourbillon désordonné des théories, des jugements, des hypothèses et des systèmes qui bourdonnent au-dessus de l’Europe !
Les rêves de tous les siècles qui ont passé sur l’humanité, oui, les rêves, les espérances, les nobles croyances et les terribles blasphèmes, toutes les hérésies chrétiennes, le panthéisme indien, le dualisme persan, le monothéisme hébraïque, l’idéalisme exclusif et le matérialisme exclusif, — tous surgissent ensemble et dans un mélange tellement confus qu’il est difficile de les reconnaître, — et tous demandent au ciel le jour du jugement, réclamant eux-mêmes leur mort, afin de se transfigurer au plus tôt, et, ranimés par une nouvelle étincelle de la vie, de ressusciter jeunes de nouveau : voilà le tableau du monde intellectuel à notre époque !
C’est une anarchie si terrible qu’elle tend nécessairement à une crise ; c’est un désir si ardent et jusqu’à présent inassouvi, qu’il réclame nécessairement le secours du Père qui est aux cieux ! Et quand donc ce secours a-t-il été refusé ? Quand donc Dieu a-t-il abandonné l’humanité lorsqu’elle a levé ses bras vers Lui, et dans la langue de tous les peuples de la terre s’est écriée : « Apparaissez, Seigneur ! »
Le désir infini amène à sa suite une tristesse éternelle et les regrets incessants. Comme l’individu, le genre humain tombe dans la mélancolie ; — et le front de l’homme collectif est parfois inondé de la sueur sanglante, sur les monts des Oliviers de l’histoire ! Si cela n’était pas ainsi, l’esprit humain ne saurait grandir et s’épurer à l’aide de sa propre volonté ; — et puis, d’où lui viendrait le mérite qu’il acquiert dans le temps ? Et ce mérite, n’est-ce pas sa vie dans l’histoire, n’est-ce pas cette suite de labeurs, partagés entre le moment de la mort et les résurrections ? Et comment meurt-on si l’on n’a pas douté ? Et comment ressuscite-t-on si l’on n’a pas cru ? Pour ne pas mourir, il faut être Dieu, — l’homme est voué au trépas. Lorsque l’esprit de Dieu s’unit à la nature de l’homme, la vie divine brise la tombe humaine. Le Christ est mort et est ressuscité.
Aussi, l’époque qui a commencé sous l’invocation de sa divine parole, doit passer par les mêmes épreuves, avant qu’elle puisse par l’action, atteindre à la hauteur du sens entier de cette parole. Nos pères étaient placés sur la pente qui mène à la tombe, — nous, nous avons été emportés plus loin par le sort et déposés plus profondément. Nous sommes dans la tombe, — non, je me trompe, — nous sommes déjà au delà du tombeau !
Vous le savez, ô mes frères, nous sommes nés au sein de la mort, — et depuis l’enfance, vos yeux sont habitués à voir les taches livides du trépas apparaissant sur le corps du monde européen. De là vient la douleur éternelle qui mine vos cœurs, — de là, l’incertitude qui est devenue votre vie. Vous marchez sans connaître le but de votre voyage, et au lieu de prier avec ardeur comme autrefois, vous répétez : « Malheur à nous. » Mais toute fin renferme déjà en elle un commencement, — le jour de la mort précède seulement l’heure du réveil ! Ne savez-vous pas que votre foi est la foi chrétienne ? et comment pourrait-elle vous tromper puisqu’elle vient de Dieu ? Aussi, regardez avec attention, — et les signes de la mort se changeront pour vous subitement en signes de résurrection !
Personne n’appellera le moyen âge l’ère de la civilisation, — personne non plus ne s’avisera de dire que notre siècle jusqu’à présent est religieux. La civilisation a commencé au moment où la foi faiblissait ; la civilisation, c’est l’unité matérielle de l’état social, c’est l’ensemble des intérêts mondains attendant l’avènement de la parole de Dieu. Regardez comme elle grandissait et comme elle aplanissait tout, afin que cette parole de Dieu pût se répandre plus facilement et se communiquer d’une maison à une autre maison, d’un pays à un autre pays ! Napoléon n’est-il pas, lui aussi, dans l’histoire, cet ange qui enlève les obstacles sur la voie du Seigneur lorsque l’heure de l’arrivée du Seigneur approche ? Son empire universel s’est évanoui comme un rêve, — lui-même est mort sur une île lointaine et son fils unique, dans la capitale de l’ennemi ; — et cependant, malgré cela, la mémoire de Napoléon n’est pas seulement le souvenir qu’un mort laisse après lui, — c’est un esprit vivant et qui chaque jour manifeste plus puissamment sa vie. Ce qu’il a mis une fois en mouvement, continue maintenant encore à rouler plus loin ; — ce que cette main, un instant omnipotente, a uni, continue de soi-même à s’amalgamer plus étroitement. Les peuples qui se sont connus ne se méconnaîtront plus ; — la race allemande mise en contact avec elle-même, ne se séparera plus, — non plus que les races italiennes et espagnoles. C’est lui qui a réveillé de leur léthargie les nationalités terrestres !
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Le Christ a révélé aux hommes l’idée de l’humanité. Avant sa venue, sauf les Hébreux, il n’y avait pas de véritables nations ; — car on ne savait pas encore le but vers lequel les nations marchent et gravitent comme les planètes autour du soleil. Le Christ a promis qu’il y aura un jour dans le monde un seul troupeau et un seul pasteur ; c’est Lui qui a ordonné à ceux qui prient le Père céleste, de répéter quotidiennement : « Que ton royaume arrive, » et par cette prière, depuis deux mille ans, nous supplions tous Dieu, de réaliser l’idéal de l’humanité sur la terre !
Rien de ce qui est en nous, ne nous appartient ; — tout nous vient du Créateur, la pensée comme le corps ; Dieu, en quelque sorte, nous a prêtés à nous-mêmes. Ce qui est uniquement à nous, c’est l’usage que nous faisons des dons que nous avons reçus ; — à nous est seulement notre action, le mérite par lequel nous devenons peu à peu ce que nous devons paraître un jour en présence de Dieu, — le mérite par lequel nous travaillons à acquérir notre personnalité réelle et définitive. Mais ce mérite ne peut être obtenu que sur la terre, qu’au sein de l’humanité ; — aussi, l’humanité au milieu de laquelle nous sommes destinés à conquérir notre vie éternelle, doit être dans la pensée de Dieu une grande et sainte harmonie et non pas une association éphémère sans but ni consistance. L’humanité sur cette planète et l’immortalité de l’individu au delà du tombeau, ce sont deux forces égales se corroborant mutuellement et ne se laissant séparer ni par le cœur ni par la raison, — l’un est le complément de l’autre — et tous deux se confondent dans une troisième et supérieure, qui est la puissance de Dieu.
Mais qu’est-ce donc que l’humanité ? Elle est la totalité et l’unité de toutes les forces de l’esprit humain, exprimées visiblement sur cette terre par la concorde et l’amour de ces membres qui sont les nationalités ! Car, de même que les membres du corps de l’homme sont des parties visibles et diverses de l’invisible moi humain qui les unit et les régit tous, — ainsi les nationalités visibles dans leur diversité et en même temps dans leur harmonie doivent devenir un jour les membres vivants de l’universelle, de la catholique humanité.
« Or, c’est un seul et même esprit qui opère toutes les choses, distribuant à chacun ses dons selon qu’il lui plaît.
« Et comme notre corps qui n’est qu’un, est composé de plusieurs membres et que, comme il y a plusieurs membres dans le corps et qu’ils ne sont tous qu’un seul corps, il en est de même de Jésus-Christ[1]. »
La révélation du Fils de Dieu doit donc dans le cours des siècles passer de l’état idéal à l’état visible et réel ; — et dans ce mouvement consiste le progrès du mérite humain, le progrès de l’humanité.
La parole du Christ n’a pas pu de prime abord transformer la politique du monde païen ; elle était donc obligée de christianiser les âmes individuelles avant de pouvoir introduire l’esprit du christianisme dans les relations entre le peuple et l’État.
Actuellement, chaque individu est chrétien, et tous les rapports entre lui et ses semblables, sont chrétiens. Dans quelle direction donc l’idée chrétienne doit-elle avancer ? Évidemment, elle doit se tourner vers une sphère encore intacte et non transformée jusqu’à présent, — vers la sphère de la politique ! Le monde est proche, non d’un grand changement, car rien de la parole du Christ ne peut changer, mais d’une grande transfiguration, de la compréhension plus profonde, de l’adoration plus haute de cette parole ! Déjà dans ces mots : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, » est contenue toute évolution future de l’humanité. Car, puisque tout appartient à Dieu, cet état de séparation momentanée entre la propriété de César et celle de Dieu doit s’amoindrir par degrés, — et ce qui comptait encore hier comme appartenant à César, doit être compté aujourd’hui déjà comme appartenant à Dieu, — jusqu’à ce que le royaume de César se réduise à rien et le royaume de Dieu devienne tout.
Le monde comprend déjà aujourd’hui où tend l’histoire ; — il sait que la sagesse de Dieu dirige cette histoire et la mène vers son but qui est cet état où l’humanité, c’est-à-dire l’universalité, écoutant la volonté divine, connaîtra et observera la loi que le Créateur lui a imposée ! Les voies, les instruments, les membres vivants qui doivent concourir à ce but sont les nationalités dans lesquelles se sont épanouies comme dans leur fleur, les diversités de toutes les races humaines.
Elles sont dans l’humanité ce que sont les notes dans la musique : la variété et l’harmonie en même temps. Sans elles on ne peut se former l’idée de l’humanité, — car elle serait alors l’unité sans diversité et par conséquent non l’unité vivante, mais seulement l’unité abstraite.
Les États sont de création humaine ; — c’est une agglomération successive de parcelles. Seules, les nationalités sont de création divine : voilà pourquoi les nationalités constituées en États, à l’exclusion des États sans nationalités, peuvent seules être chrétiennes, c’est-à-dire appartenir à l’association de l’humanité universelle ! Déjà dans le moyen âge, les Papes avaient conçu ce haut idéal, en cherchant à rendre chrétiennes toutes les relations politiques en Europe, il y avait cependant dans leur pensée cette erreur qu’ils concevaient plutôt la suprématie de l’Église sur la société laïque, que la conciliation complète des choses divines avec les choses terrestres, de la volonté de Dieu avec la volonté de l’homme. Aussi, leur idéal s’est-il évanoui ; l’Église est restée d’un côté et la politique s’en est allée de l’autre, — et depuis la Réforme, elle est devenue tout à fait païenne.
De là, date la naissance du machiavélisme de la diplomatie ; — l’intérêt matériel divinisé, le royaume de Dieu circonscrit à l’enceinte de chaque temple. En dehors des murs du sanctuaire il n’y a plus de Dieu, — il n’y a que les morts qui dorment dans les cimetières ; plus loin, sur les grandes routes du monde, se meuvent les vivants : soldats, ministres, marchands, — et sous leur régime, l’oppression et l’esclavage ou la rébellion et la fureur des brutes !
En général les États se forment au détriment des nationalités par le morcellement d’une ou de plusieurs nationalités au profit d’une politique de cabinet. L’idée du Christ, l’idée de l’amour est oubliée complètement et violée à chaque pas ; — nulle part cependant aussi antichrétiennement que dans le partage de la Pologne.
Trois puissances agrandies contrairement aux lois divines, s’appuyant uniquement sur l’intérêt égoïste, sur la diplomatie, en un mot, sur ce qu’on appelle la politique, — ont déchiré une nationalité vivante, c’est-à-dire un des membres visibles de l’humanité. Par cet acte la politique a dépassé ses limites.
Enfant est celui qui dit que c’est un crime politique, — c’est un crime beaucoup plus grand, c’est un crime religieux, car il est sorti des sphères terrestres et a atteint les sphères divines. Partager un État de création humaine formé par les combinaisons de la diplomatie, serait un crime politique ; — mais morceler une nationalité sainte et vouloir la tuer lorsqu’elle est indispensable pour la réalisation de l’idée de l’humanité sur la terre, — c’est s’attaquer à la vérité divine, à la vérité éternelle : c’est un sacrilège. Comme aussi, d’un autre côté, — protester contre cette violence, lutter contre cette impiété, est une religion !
À l’époque des partages cela a été accepté comme un fait, mais, de nos jours, l’âme polonaise est descendue en elle-même, — elle a appris à se connaître et s’est sentie l’instrument choisi par la Providence pour faire avancer l’histoire dans la voie du progrès. Il ne pouvait en être autrement, — car la loi divine offensée, blessée ici-bas, doit posséder une force intrinsèque pour se guérir de cette blessure et revenir à son état normal. Aussi, c’est au sein d’une nation dans laquelle l’humanité a été le plus cruellement violentée, que doit nécessairement se manifester et resplendir avec le plus d’éclat, l’idée de cette humanité !
La sexualité, la polarité, est une loi universelle existant également dans la nature et dans l’esprit — et se développant sous des formes de plus en plus élevées. Par exemple : le pôle positif et le pôle négatif dans le galvanisme, — la terre et le soleil dans l’ordre cosmique, — l’homme et la femme dans le genre humain, — la pensée et le corps dans l’homme. Cette loi consiste en ce que toute force dans la nature ou toute idée dans l’esprit se manifestent à leurs deux extrémités contradictoirement, en quelque sorte ; — et alors, entre ces deux extrémités s’éveille l’action et la réaction continue, c’est-à-dire le mouvement et la vie de cette force, de cette idée. Dans la pile galvanique, l’étincelle se dégageant du pôle positif, où court-elle ? vers le pôle négatif. L’homme, à quelle attraction obéit-il, où se réfléchit-il ? dans la femme. La pensée par quoi s’exprime-t-elle ? par le corps. Toujours une moitié a besoin de l’autre, se confond avec l’autre moitié, afin que la totalité puisse exister.
Un rapport analogue et même identique existe aujourd’hui entre le progrès de l’histoire et la Pologne, — pour le premier, l’indispensable condition d’être est la résurrection de la seconde. Où donc doit se réfléchir le plus fidèlement la notion de ce progrès ? Où doit le plus vivement éclater la prévision de cet avenir ? En vérité, c’est en Pologne !
Il a fallu notre mort, — il faudra notre résurrection, afin que la parole du Fils de l’homme, la parole éternelle de la vie, puisse se répandre dans les régions sociales du monde. Et c’est précisément par notre nationalité martyrisée sur la croix de l’histoire, qu’il sera démontré, que la politique doit se dépouiller de son caractère païen, pour devenir religieuse, — et que l’Église de Dieu sur cette terre, ce n’est pas seulement tel ou tel pays, tel ou tel office, — mais l’univers entier et toutes les relations des individus entre eux et des nations entre elles.
« Domini est terra et plenitudino ejus orbis terrarum et universi qui habitant in eo[2]. »
Il n’est point douteux que, dans cet état, Dieu se manifestera plus largement dans la conscience humaine. Le Seigneur apparaîtra dans la sphère de la politique d’où il était absent jusqu’alors, et l’instrument providentiel pour amener ce résultat ne peut être autre que la nation polonaise !
De deux choses l’une : — ou le saint avenir de l’humanité est perdu à jamais, ou la condition de son accomplissement est la vie de la Pologne. La parole unique, la parole du Christ ne produira plus d’autres fruits, ou bien la violence faite à cette sainte parole ne pourra durer plus longtemps. Telle est la vérité ; non la vérité de l’intérêt mondain, mais celle de l’intérêt divin : voilà pourquoi je l’appelle vérité religieuse. Elle doit unir (religare) encore plus étroitement notre terre avec le Ciel.
Que la conscience de chaque Polonais se pénètre de cette vérité ; — qu’il comprenne par la pensée ce qu’il sentait jusqu’à présent seulement par le cœur, — et il acquerra cette croyance que ce n’est que par la Pologne qu’il peut mériter sur cette terre et sauver son âme immortelle ; — car c’est seulement en Pologne et par la Pologne que peut commencer providentiellement une nouvelle ère dans l’histoire du monde ! Et de ce progrès dépend l’accomplissement de plus en plus élevé de la révélation du Christ au sein de l’humanité !
17 mars 1843.
Chassé par l’ennemi du pays de mes pères, j’étais réduit à fouler le sol étranger et à entendre de loin les hurlements de ces démons qui ont enchaîné ma patrie ; — comme Dante, de mon vivant j’ai traversé l’enfer !
J’avais espéré d’abord que le Dieu de la miséricorde, superbe avec les superbes, serait fidèle à ses fidèles ! J’avais espéré d’abord, que bientôt descendraient ses anges vengeurs, et qu’elle serait brisée, cette tombe qui est debout au milieu de l’univers, comprimée sous la main du bourreau-géant ! Mais les jours s’écoulaient suivis des années, — en vain les premiers rayons de l’aube luttaient-ils contre la force aveugle de la nuit, le soleil ne se levait point sur la tombe des martyrs, — et le monde se plongeait de plus en plus dans une lâche ignominie ! Alors mon esprit est tombé dans ce vide du découragement où toute lumière se change en ténèbres éternelles, où les hauts faits de l’héroïsme semblent des cadavres en pourriture et les grands souvenirs d’histoire ne sont plus que des ruines surmontées de cette inscription : « Ici, point d’espérance. »
Ah ! j’ai vécu longtemps, bien longtemps dans ce gouffre, livré à la furie d’un désespoir sans bornes ! Et la mort ne sera pour moi qu’une seconde mort ; — comme Dante, de mon vivant, j’ai traversé l’enfer ! Mais à moi aussi est venue en aide une consolatrice dont le regard fait fuir les noirs esprits ; et moi aussi j’ai été sauvé de l’abîme par un ange, et moi aussi j’ai eu ma Béatrix !
Ô toi, non moins belle, tu n’as pas comme l’autre, déployé tes ailes au-dessus des ténèbres de notre planète pour aller t’abriter dans la paix du ciel, délivrée des maux terrestres, divinisée ! Ô toi, non moins belle et plus chrétienne, tu es restée avec ton frère ici-bas où germe la douleur, où ne tarissent pas les larmes ! Nous avons marché côte à côte, portant la même couronne d’épines, — le sang de mes mains rejaillissait sur les tiennes, — et nous avons bu tous deux à la même source de poison infernal, ô ma Béatrix !
Et cependant, mes gémissements et tes soupirs, en se mêlant, sont devenus des chants harmonieux ! De ces deux tristesses confondues dans l’union spirituelle, s’est élancée une seule voix, — et cette voix, c’est le bonheur ! Oui, le bonheur de la foi, la force de l’espérance, qui, à travers ton regard, sont revenus dans mon cœur ! Ainsi, lorsque deux sombres nuages gonflés de larmes se rencontrent dans leur course aérienne, l’éclair de leur contact jaillit, et les illumine de flammes si éblouissantes que l’on croit voir le ciel s’entr’ouvrir pour montrer le trône de l’Éternel !
Je commencerai donc ce chant par ton nom, ô ma sœur ! Sois à jamais unie à moi par l’anneau des mêmes souvenirs et des mêmes sentiments ! Nous mourrons un jour, mais notre chant qui ne mourra point reviendra fidèle, pareil à l’ange gardien, veiller sur nos tombeaux. Et lorsque nous nous lèverons ressuscités dans la région des âmes, la chaîne de cette harmonie nous liera de nouveau, — et nous vivrons dans le souvenir et les cœurs des hommes, comme deux esprits purs, lumineux, sanctifiés !
Te rappelles-tu l’azur du ciel d’Italie, suspendu au-dessus de la neige des Alpes ? Te rappelles-tu ce lac bordé de parois de granit ? Là haut, au loin, devant nous, s’élancent les pics couverts de glace, — et ici, plus près et plus bas, ondule la colline derrière la colline, couronnée de vigne, ruisselante de lierre et pourpre de roses ! Te rappelles-tu ce paradis aux pieds des monts, où, soir et matin, le miroir des eaux réfléchit le ciel, — où, sur les cimes des rochers et sur la surface des îlots, brille la même beauté, le même Dieu ?
Je te vois encore, je te vois appuyée sur ta harpe, debout dans ma nacelle. Quelques étoiles scintillent déjà au firmament, et la lune parait sur la crête des Alpes. Je te vois encore, je te vois les doigts sur les cordes ; — l’étincelle de l’inspiration jaillit de ta face, — la clarté de la lune entoure ton front d’une auréole angélique. Noyée dans le reflet des flots et la trame lumineuse des rayons, tu parais sur le fond bleu de l’espace, comme une statue d’argent, transfigurée !
Ma nacelle vogue lentement en traçant un sillon pavé de clartés ; — oh ! comme il est doux de glisser sur ces profondeurs azurées, au milieu de ces collines et de ces rochers qui se dressent aux bords du lac. Et tu es avec moi et nous sommes seuls, — et tout ce monde d’alentour est si beau !
En traçant un sillon pavé de clartés, ma nacelle poursuit sa course. Oh ! les anges ne peuvent pas ressentir ce que j’éprouve à cette heure ! Je me sens si heureux et si fort ! Oh ! ma sœur ! il me semble qu’à cet instant, notre Sainte[3] se lève déjà de sa tombe !
La lune nous attire toujours plus avant sur les flots. Voguons, voguons ainsi sans cesse vers le lointain, vers le calme, vers l’azur, vers la lumière !
Le miroir des eaux, les contours des montagnes, la terre et le ciel ne forment qu’un seul paysage ! La réalité se change peu à peu en un monde fantastique, en un songe où tout est argent et cristal. Oh ! laisse-moi rêver !........ Laisse-moi rêver !............................................
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Soyons fiers, ô mon ange ! car, en attendant que le miracle vienne sauver ceux qui tremblent dans l’édifice du vieux monde, nos cœurs ne sont pas ensanglantés par le doute, — la peur ne ternit pas nos fronts ! Nous levons hardiment nos regards vers le ciel, et en contemplant cette nature, en elle, et au delà d’elle nous sentons Dieu !
Inspirés tous deux du même rêve, poussés par le tourbillon des tristes destinées, nous marchons notre chemin. Mais pendant ce long martyre, lorsque nous nous sommes serré les mains, — dans cette vie et au delà d’elle nous sentons Dieu !
Nous, enfants d’une mère assassinée, orphelins qui n’avons jamais vu de quel rayon angélique étincelle le regard d’une mère, — nous, dont le berceau fut une tombe, — nous sommes forcés, pareils aux vampires, de marcher éternellement sur la pierre tumulaire, laissant une trace de sang à chacun de nos pas. Cependant, à tout instant de la vie, en dedans ou en dehors de cette tombe, nous tentons le ciel par la foi dans le ciel. Nous provoquons l’ennemi devant le tribunal vengeur, car nous portons son arrêt dans nos poitrines, — et n’avons jamais cessé de croire que nous obtiendrons à la fin justice du Dieu de la justice !
Prie avec moi, ô ma sœur ! Agenouille-toi ici avec humilité, mais regarde en haut fièrement, sans peur, comme doit regarder une orpheline ! Contemple cette harpe de l’infini où la lune, les étoiles et les soleils sont les clefs immobiles, sur lesquelles frémissent les cordes d’azur et de lumière tendues à travers l’immensité. L’esprit de Dieu traverse ces cordes, l’esprit de Dieu les fait vibrer et se manifeste lui-même dans cette mélodie qui est le chant de la paix et du repos du monde !
Écoute ! à l’harmonie de ces accords, il manque aujourd’hui une note. Regarde ! dans cette lumière universelle, il manque aujourd’hui un rayon ! Oh ! prie avec moi, dit cette note qui a été retranchée de la harpe de la vie ; — désigne cette étoile qui a pâli, mais qui ne s’est pas éteinte le jour du naufrage ! Prononce, prononce le nom de la Pologne, — peut-être que l’esprit de Dieu nous écoute et qu’il recueillera cet accord perdu et le replacera de nouveau dans le chant de l’univers !
Prie avec moi, prie avec calme et confiance ! Comme il est vrai que Dieu est au ciel, il est vrai qu’il nous revêtira d’un nouveau corps ; — car, dans aucun moment de notre agonie, nous n’avons perdu le courage, — nous avons passé par l’épreuve du tombeau, — nous avons droit à la résurrection ! Aujourd’hui ou demain tu nous l’accorderas, ô Seigneur ! tu nous l’accorderas, ce que tu dois non-seulement à nous, — mais à Toi-même ! Car, qui a survécu dans notre tombe et vit encore dans nos poitrines ? Personne, si ce n’est Toi, ô Seigneur ! Aucune autre force que la tienne ne nous a soutenus dans notre vie posthume ; — il n’y a que ta puissance qui soit capable de supporter ce que nous avons souffert ; — il n’y a que la majesté de ta gloire qui, comme celle de la Pologne, n’ait pas de corps. Ton esprit, ô Seigneur, est le seul qui ne peut être annihilé par la mort, — aussi, lorsque aujourd’hui cet esprit t’adresse des supplications d’ici-bas, — tu vas lui répondre du haut des cieux !
Tandis que je parlais ainsi, tu t’es agenouillée, et les cordes de ta harpe ont gémi, touchées par ton front de neige : et tu restes immobile, priant à genoux. À travers ces cordes argentées par la lune, perce ton regard triste et profond, — une aspiration frémissante retient seule toute ton âme sur tes lèvres muettes. Prie ainsi, ô ma sœur ! prie par des soupirs ; — Dieu sait bien que le soupir est aujourd’hui le seul nom de la patrie !
Nous avons été effacés du nombre des vivants, victimes de notre saint amour pour les hommes. C’étaient nos frères, — il fallait racheter leurs iniquités, — prendre sur nous non leurs péchés, mais la punition ! Nous avons accepté, — et l’on a vu au milieu des nations le fantôme de la Pologne descendre pour trois jours dans la tombe. Mais au troisième lever du soleil la lumière va revenir, — et ce matin durera toute l’éternité !
Ah ! vous pensez que celui qui aime et qui meurt est perdu à jamais ? Oui, il disparaît pour vos yeux de poussière, mais non pour lui-même, ni pour la vie universelle ! Celui qui s’est voué à la mort par sacrifice, celui-là a seulement versé sa vie dans les autres ! Il demeure dans le secret asile des cœurs humains et, chaque jour, à chaque instant, il grandit vivant dans ce sépulcre, — comme le Dieu du ciel qui se distribue à tous sans rien perdre de sa puissance ! Longtemps invisible, mais se faisant entendre sans cesse dans les cœurs, — son œuvre est d’effacer avec le feu les taches de ces cœurs, d’amollir avec des larmes le roc de ces âmes, — et par les larmes et les tourments du tombeau, par le chant harmonieux de la mort, quoique mutilé, morcelé lui-même, de chercher à unir tous les peuples dans un seul amour !
Ah ! vous avez d’étranges idées ! Vous, mortels, vous avez voulu ôter la vie aux immortels ; — vous n’avez fait que blesser leur corps. Vous ne savez donc pas que la mort et l’amour ne font qu’un dans le monde des esprits ? Plongés dans le gouffre infernal, vous n’avez compris de Dieu que ce qui le manifeste dans l’espace, — et la pensée qui habite vos cerveaux ne va pas au delà de la matière ! Chacun de vous ne cherche qu’à étouffer le cœur de l’humanité pour faire marcher ensuite son squelette nu d’après la loi de l’équilibre ! Vous allez dans le monde entier distribuant des chaînes ou des pièges, sans songer que la destinée de chaque esprit est de déployer ses ailes vers l’infini..... Éternel sur la terre est celui qui, par sa mort, fait germer la vie ! Mais celui dont la vie ne sert qu’à donner la mort aux autres, une fois expiré, ne ressuscite plus !
Ô vous tous, bas, ignorants, cruels et lâches, — vous, Pharisiens sans âme ni conscience, — vous, qui tentez la foudre de Dieu jusqu’à ce qu’elle vous ait étendus ici dans la poussière ! vous, délateurs et bourreaux, portant des habits dont vous avez lavé les taches de sang, — vous, inventeurs de demi-mesures subtiles, qui appliquez le charbon ardent sur les plaies, — et qui, si le martyr pousse un gémissement, l’appelez rebelle ! Menteurs éternels quand vous affirmez vos prétendus droits, soit que vous vous appuyiez sur la balance du trafiquant, soit que vous vous armiez de sabres et de baïonnettes, — vous, idoles devant qui les enfants de la peur brûlent de l’encens, — la terre est empoisonnée de votre venin ! — et vous n’êtes que les reptiles de cette terre, quoique vous ayez la prétention d’en être les dieux !
Pour vous qualifier, je ne connais pas de termes de mépris : non pas que ma langue soit pauvre, mais parce que la parole humaine est d’origine divine : — empruntée aux anges, elle est trop belle, trop pure et trop sainte, pour vous nommer par votre nom ! Oh ! je pourrais dans un chant foudroyant vous jeter la malédiction de tous les cœurs, et pareil à la furie de la vengeance, vous poursuivre jusqu’à l’antre de Satan en vous flagellant d’un fouet tressé de vipères ! Je pourrais arracher de vos fronts le signe de l’humanité et vous traîner pâles, ensanglantés, enchaînés, devant le tribunal des siècles ; afin que le talon de leurs pieds imprimât sur votre face cette épitaphe : « Brutes. » Mais le mépris a aussi sa pudeur, qui, en manifestant son dégoût, est trop fière pour se laisser emporter jusqu’à la malédiction !
Pourquoi fonds-tu en larmes ? Pourquoi ton regard se trouble-t-il ? Ô ma sœur ! viens près de moi. La vérité et la justice sont pour la Pologne, et nous sommes ses enfants ! Lève-toi et regarde avec confiance ; appuie ta tête sur mon bras ; que je contemple ton front divinisé dans mon inspiration !
Avant que cette lune déjà assombrie se cache tout à fait derrière ces montagnes, avant que ces étoiles s’éteignent, — avant que se montre le premier rayon de soleil et que cet enchantement qui fait battre ma poitrine ait disparu, laisse-moi te révéler un mystère plus puissant que l’oppression et que la souffrance ! Ô mon ange ! ô ma sœur ! écoute encore.... écoute encore !.....
Connais-tu ce sentiment qui attire l’âme sans cesse vers les régions du souvenir ? Entends-tu pendant la nuit le cri de l’ange de ta race, qui t’ordonne de contempler les figures des trépassés redevenues vivantes sous ton regard ?
Connais-tu cette plaine déserte où les ancêtres dorment dans leurs tombeaux ; où le ciel sans étoiles n’est éclairé que par une lune solitaire, immobile, suspendue au milieu de l’air comme le crâne d’un cadavre ? Ses rayons jettent une lumière blafarde sur cet espace qui semble le néant pétrifié. Partout la neige, les glaces, les frimats, — seuls, les tombeaux de granit montrent leur relief au milieu de cette blancheur et de cette solitude qui épouvantent !
Lorsque sur la pente mystérieuse des souvenirs ta pensée est entraînée vers cette plaine, il te semble que tu y marches sans cesse dans la nuit, — et que ce transparent cadavre de la lune est toujours suspendu sur ta tête. À chaque pas, la plaine s’élargit, — l’infini est devant tes yeux, — et là haut, ce terrible horizon grandit aussi. Quelque chose se lamente sous terre ; tout le cimetière frissonne comme s’il était vivant ; — les prières et les gémissements se dégagent des tombeaux, — on entend le cliquetis des sabres et le choc des lourdes armures. On dirait que nos pères, se souvenant encore de la vie et soupirant après la gloire, se retournent dans leurs cercueils et rêvent dans leur sommeil sépulcral le martyre de la Pologne !
Non ! ce qui a disparu ne meurt point ! Comme un esprit évoqué par l’enchanteur, le passé revient dans le monde de la réalité. Regarde ! chaque tombeau s’ouvre et te rend son mort. La pâle multitude des ancêtres, — les anciens rois, les hetmans, les sénateurs et les nobles nous entourent. Ce cimetière glacé et solitaire devient une assemblée, une diète, une Pologne tout entière. C’est en vain que la mort a labouré ces fronts ; dans ces regards, quoique éteints, brûlent encore la Foi et l’Espérance. Regarde ! de dessous ces couronnes, ces kolbacs et ces casques rouillés, brille encore l’étincelle de l’âme, — resplendit la majesté des sénateurs, — jaillit le courage de lion de la noblesse — et éclate partout l’horreur de l’esclavage !
Je les contemplais en pleurant ; — sur cette blanche terre de mes rêves, je les contemplais, — et mon corps est tombé devant eux comme un cadavre qui tombe ! Tantôt posant mon front sur leurs pieds, tantôt levant mes bras suppliants, je leur demandais avec des larmes, avec des cris, avec tout mon cœur, pourquoi est morte la Pologne, moi né après cette mort !
Je leur demandais pourquoi, pendant qu’ils avaient possession de la vie, ils la prodiguaient tellement que, pour héritage et puissance, ils n’ont laissé à leurs descendants que le corps démembré de la patrie ? Je leur demandais quel ouragan les poussait à travers les flots de l’histoire, pour que, — se souciant si peu de nous, — ils ne nous aient transmis que leur sang, et dans ce sang, la mort !
À peine eus-je fini de parler, qu’un bruit sourd d’armures se fit entendre, et un gémissement sortit de toutes les poitrines. Tous les yeux des trépassés, pareils à des cierges allumés, se dirigent vers moi, — tous les bras levés s’agitent convulsivement, comme s’ils voulaient protester en silence contre mes paroles ; — et cette multitude de bras obscurcit la lune. Comme la rosée sur les épis des champs, la sueur de l’effroi inonde mon front, — et ma poitrine est oppressée par l’angoisse. Je n’ai pas la force de détourner les yeux ; — ici, à côté, devant et derrière moi, ils se tiennent debout, innombrables. Je sens leur respiration et j’entends leurs rires de mépris. Tous ces morts qui me regardent ont l’air de demi-dieux ; le mystère des siècles se révèle sur leur figure, et chacun d’eux le comprend : voilà pourquoi ils me raillent dans leur saint orgueil ! Et leur mépris m’a déchiré le cœur ; — un cœur d’acier éclaterait à ces reproches amers. Ah ! je me souviens du triste et terrible abattement qui me saisit à ce moment ! Aussi, je courbais humblement la tête, et lorsque mon esprit eut repris courage, je m’écriais de nouveau : « Ô mes ancêtres ! ne m’accablez pas de vos colères ; — qui donc en ce monde pourra me dire la sainte vérité, si ce n’est vous ? Je suis venu vous la demander, répondez à votre fils ; — que votre Pologne apprenne que vos esprits la protègent. »
Alors l’Hetman, debout auprès de sa tombe, les deux mains appuyées sur son sabre, revêtu d’une simple armure sans ornements d’or ni pierres précieuses, — l’Hetman, dont le manteau de fourrures n’a d’autres broderies que les trous faits par les balles, dont la figure porte de profondes cicatrices, et dont le front est couvert d’un casque ébréché dans les luttes, — ce guerrier mort qui me regardait avec des yeux plus bienveillants que les autres, quoiqu’il fût le plus vaillant de tous et le plus triste de tous, — relève tout à coup la tête, se redresse et s’avance vers moi en gémissant[4]. Je tombe de nouveau à genoux et une voix sépulcrale retentit :
« Je suis parvenu aux dignités et à la puissance non par les faveurs et les dotations, mais par tout ce que j’ai souffert ; — aussi je crois que, dans votre monde, le sacrifice et la douleur peuvent seuls vaincre un jour et précipiter dans l’enfer les oppresseurs orgueilleux ! Lorsque Dieu envoie le martyre, il nous envoie en même temps la promesse de la récompense. La parole du Seigneur ne trompe jamais, — elle apporte le salut ! Sur quelles terres et quels flots j’ai combattu[5], les hommes le savent. De mon temps, le mal était déjà grand ; — nous servions la patrie sans épargner notre sang. La grâce de Dieu nous a placé sur le rude chemin d’une difficile mission ; qu’elle en soit louée ! car elle a permis à ma patrie de sortir du cercle infernal de cette politique païenne que suivaient les autres peuples, de mourir plutôt que de végéter misérablement ! — Que le Seigneur en soit loué !
« Garde-toi d’accuser tes pères en recherchant les fautes dont on les accuse, car ce sont calomnies et blasphèmes ! Est-ce que tu sais comment les heures forment les jours et les jours forment les siècles ? Seul, le mort qui soupire, attend et rêve dans sa tombe, — et non le vivant, — peut distinguer le temps proche du temps éloigné, la nuit éternelle de l’aube, et peut discerner le vrai signe de la protection divine !
« Si jadis tes pères, imitant leurs voisins préoccupés d’intérêts matériels, avaient franchi le seuil de cet édifice social qui entourait la Pologne, et qui aujourd’hui tombe en ruines, — votre pays serait maintenant comme le leur : un comptoir de trafic, un arsenal rempli des engins de la force brutale, et non pas une nation conservant pour le monde l’idée chrétienne ! Nous ne pouvions pas vivre dans le passé, car nous nous sentions les hôtes des siècles futurs ; — éternellement partout, à travers le champ de l’histoire, Dieu nous poussait vers une plus haute destinée, vers cette Pologne qui sera ! Aussi, entraînés sans le savoir par l’idée qui animait vos pères, vous êtes forcés d’avancer toujours vers le royaume de Dieu qui doit advenir. Pour y arriver, nous suivons l’ancien chemin, — aujourd’hui s’ouvrent devant vous des voies nouvelles !
« Dans un même esprit, dans une constante union, le Seigneur a rivé les fils aux pères comme les anneaux de la même chaîne, — chaîne qui ne se brisera jamais ! Et de notre sang et de nos fautes, — avant même la fin de ce siècle — sortira la race unique du peuple des peuples ! Bénissez les fautes de vos ancêtres. »
L’Hetman se tait et retourne lentement dans sa tombe qui se referme sur lui, — et ce chef mort des trépassés disparaît dans le gouffre noir de sa demeure de granit.
Et bientôt se dissipe ce nuage de bras levés, suspendu au-dessus de ma tête ; — les formes des fantômes se fondent dans l’air, — la plaine déserte et l’horizon lugubre et tout ce cimetière se brisent devant mes yeux et se dispersent sans laisser de traces. Mais la voix de l’Hetman résonne encore le matin dans mes oreilles et gémit au fond de mon âme ! — De ce songe évanoui, ce seul souvenir ne s’évanouira jamais !
Déjà la surface du lac devient plus sombre ; l’horizon est plus triste et plus terne, obscurci par le rideau des nuages noirs suspendu sur les pics des montagnes ; — la lune y descend et s’éteint.
Ô ma sœur ! que se passe-t-il là-bas ? Ce n’est pas le souffle du vent qui bruit ainsi ! J’entends les soupirs et les plaintes monter lentement du rivage ; — à travers le calme de la nuit, des milliers de gémissements arrivent jusqu’à nous. Au bord du lac, sur ces collines escarpées, sont murmurés les sourds accents d’une prière. Grand Dieu ! que vois-je ? J’ai attiré ici les esprits de nos pères ! Le long des rives, pareils à des myriades de feux follets, ils voltigent, ils se balancent légèrement et se suspendent aux flancs des rochers.
Reprends ta harpe, ô ma sœur, fais-en vibrer les cordes et, pour mieux les conjurer, joue l’air de ce chant tant aimé : « Elle n’est pas encore perdue[6].... » Joins à la musique ta voix suppliante et tes larmes, — le chant national doit les attirer jusqu’à nous.
Regarde, regarde ! ils ont entendu ; je vois leurs blanches ombres glisser le long des rocs et descendre sur le rivage. Les voilà dans leur course aérienne traversant ces flots noirs, pareils à des tourbillons de neige !
Est-ce un miracle ? est-ce une illusion ? Les sons qui se dégagent sous tes doigts pétillent comme des étincelles, et ta harpe semble entourée de flammes. Chaque note tirée des cordes brûle l’air qu’elle fait vibrer ; — et au-dessus des flots, ton chant se précipite et roule du côté des fantômes comme une torche allumée, retentissant sans cesse et flamboyant sans cesse !
Lentement, majestueusement, à travers cet incendie des sons, avancent les ombres des trépassés. Regarde, regarde ! tous ces morts sortis des cercueils enfouis dans le sol polonais, traversent le lac et s’approchent, entourés de la sainte auréole du Christ.
Les pennons et les étendards, les couronnes, les casques et les panaches blancs, — des milliers de sabres, des boucliers ornés d’armoiries et la croix catholique portée bien haut, passent à travers l’étendue. Au-dessus de cette multitude, se détache dans l’azur une figure angélique. Pareille à l’étoile, elle point à l’horizon, elle grandit, elle s’allume et projette des rayons étincelants. Un arc-en-ciel de saphir et de pourpre entoure les formes transparentes de la vision ;..... sur un fond de perles et de fleurs, brille une couronne de diamants..... La reconnais-tu, cette figure céleste ? Salut ! salut ! c’est la reine longtemps veuve de son peuple, qui revient aujourd’hui, ornée de cette couronne, que jadis nos pères lui ont décerné à Czenstochowa[7] ; — et c’est elle qui conduit nos pères à travers les flots.....
Cesse ta musique, ô ma sœur ! Notre harpe ne saurait évoquer une seconde apparition pareille, ni attirer ici ces esprits qui, guidés par la lumière de Dieu, se hâtent ailleurs en traversant l’atmosphère embrasée, tous armés et cuirassés comme s’ils couraient de nouveau aux combats ! Des ailes d’argent sont fixées sur leurs épaules[8], — les armures sont retenues par des agrafes en pierreries ; — on voit briller leurs gantelets d’acier, onduler leurs panaches et étinceler leurs sabres de Damas, sortis à moitié du fourreau. Chacun d’eux tient les yeux attachés sur la souveraine angélique et la suit vers les régions de l’infini ; — chacun d’eux serre l’arme dans sa main droite, comme s’il se préparait à défendre celle qui s’envole couronnée d’étoiles ; — et cette reine céleste flotte comme un rêve devant eux et les guide en avant..... en avant.....
Ô souveraine bien-aimée ! n’est-ce pas qu’avec tes serviteurs morts tu descends dans l’abîme, pour écraser une seconde fois la tête du serpent ! N’est-ce pas qu’avec l’aube de ce nouveau siècle, la justice va reparaître et que tu diras à Satan, que ton peuple, le peuple polonais, — va triompher ?
L’heure des grâces a sonné ! En Toi et par Toi, la pensée éternelle, la pensée vivante dans le ciel, recommence à vivre ici-bas ! Vogue, oh ! vogue, lis divin, au delà des terres, au delà des mers, éclairant la route avec la flamme de tes yeux, jusqu’aux portes des enfers ! Qu’il périsse, le vieil imposteur qui a trompé les siècles ! Il expirera sous tes pieds, et ces guerriers polonais enfonceront leurs glaives dans sa poitrine et feront périr au nom de Dieu l’ennemi éternel des hommes ; — ils ne sont sortis de leurs tombes que pour cela ! Alors, sur la surface du monde régénéré s’épanouiront les troisièmes formes de la vie, dans les races nouvelles ;..... alors, alors le Seigneur séchera nos larmes, — et pour toujours !
Je sais déjà, ô mes ancêtres, où vous allez, vous hâtant ainsi sur les traces de votre divine conductrice, — mais quelle voix saura me dire quand, après ce voyage à travers l’immensité, vous reviendrez sur cette terre, afin que les vivants puissent aussi sortir de leur sommeil léthargique ?
Vous êtes déjà loin sur les flots, en avant, en avant du côté de l’aurore je vois étinceler vos bras levés. Les brillants précurseurs du jour arrivent déjà sur ces montagnes, — la neige de ces rochers se teint de pourpre, — le brouillard qui flotte sur les eaux s’éclaire, car le premier rayon du soleil a paru. Et les blanches cohortes des trépassés avancent tout droit vers le disque gigantesque de cet astre d’or, — elles sont inondées de ses flammes, — elles s’amoindrissent, elles se fondent. — Je ne les vois plus. Elles ont disparu dans la lumière, portant l’espérance avec elles !
Je n’aperçois plus rien dans l’espace, si ce n’est la clarté du ciel ; et autour de nous, le calme miroir du lac, les rochers et les montagnes, tels qu’ils étaient hier, tels qu’ils sont toujours. Mais durant cette nuit s’est raffermie dans mon cœur la foi que le sort ne pourra plus détruire ; — l’avenir, oui, l’avenir est à nous !
Oh ! je voudrais embrasser d’une seule étreinte cet azur du ciel, ces pics des Alpes et ces rivages ; — je voudrais entourer de mes bras l’univers entier et le presser comme un frère sur ma poitrine palpitante, — car je me sens heureux ! Les espaces de l’horizon et les plaines de la terre, tout est si beau, tout est à moi ! Il me semble que je pourrais faire sortir de ces rocs la voix de la vie, car la parole de Dieu déborde de mon cœur ! Partout des miracles, partout des merveilles, — je me sens fondre dans l’infini ! Ô ma sœur ! je te répète que je suis heureux, car ma Pologne bien-aimée, ma Pologne ressuscitera ! Grâces à tout et à tous, grâces pour toujours à Dieu, — aux hommes, — à toi, ô ma sœur ! Grâces éternelles à ceux qui dorment dans la tombe et grâces aux vivants ! Seigneur ! Seigneur ! je te bénis, — je suis heureux !
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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 5 mai 2011.
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Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.
[1] Saint Paul, Épître aux Corinthiens, c. 12, v. 11-12.
[2] Psalm., c. 24, v. 1.
[3] La Pologne.
[4] Quoique l’auteur n’ait pas désigné l’Hetman par son nom, cependant, d’après la description qu’il en fait, tout Polonais reconnaît Étienne Czarniecki, guerrier illustre du dix-septième siècle, qui fournit une longue et brillante carrière militaire en combattant victorieusement les Moscovites, les Tartares, les Cosaques révoltés, — et surtout, en délivrant la Pologne de la terrible invasion des Suédois sous Charles-Gustave. Czarniecki, malgré les blessures qui avaient criblé tout son corps — et malgré les éminents services rendus au pays, n’a été pendant longues années que général du camp et ne fut nommé Grand Hetman que peu de jours avant sa mort.
[5] Le roi de Pologne, Jean-Casimir, envoya au secours de son allié, le roi de Danemark, qui était en guerre avec les Suédois, un petit corps d’armée sous le commandement d’Étienne Czarniecki. Les Suédois s’étant emparés de l’île d’Alsen, séparée du littoral danois par un bras de mer, faisaient de fréquentes descentes sur le territoire ennemi pour le ravager. L’intrépide Czarniecki rassemble une nuit trois régiments de cavalerie polonaise, se jette le premier à l’eau et, suivi de ses compagnons, traverse à la nage le bras de mer, tombe à l’improviste sur les Suédois, en tue une grande partie et fait le reste prisonnier. Ce fait d’armes, unique dans l’histoire, de la prise d’une île par la cavalerie, a eu lieu en l’année 1659.
[6] Le chant national commençant par ces mots : « La Pologne n’est pas encore perdue tant que nous vivrons.» Ce chant a été composé après le dernier partage de la Pologne et chanté par les légions polonaises en Italie.
[7] La ville de Czenstochowa possède dans une église appartenant à l’ordre religieux de saint Paul, une image miraculeuse de la Vierge, vénérée depuis des siècles et visitée par de nombreux pèlerins non-seulement de toutes les parties de l’ancienne Pologne, mais aussi par tous les Slaves catholiques. Comme Florence au moyen âge a nommé N.-S. Jésus-Christ roi, de même, au dix-septième siècle, la sainte Vierge a été proclamée reine de Pologne et couronnée comme telle à Czenstochowa sous le règne de Jean-Casimir.
[8] Une partie de la cavalerie polonaise, appelée Hussarze, portait des ailes d’aigle attachées droit aux épaules. Ce n’était pas seulement un ornement, mais (comme disent les anciens historiens) le bruit que faisaient ces ailes dans une charge, effrayait les chevaux de la cavalerie ennemie.